Ecrire > Textes d'Odile Gasquet
- In vitro, désirer et vouloir
édition Jacques André http://www.jacques-andre-editeur.eu
novembre 2011
Ecouter l'interview de RTL (Yves Calvi)
Ecouter l'interview d'Europe1
"Le Monde" du 24 février 2012, p 11
De la FIV à l'enfant, un parcours de combattante | 23.02.12 |
Tout est resté gravé en elle. La couleur des murs dans la salle d'attente du gynécologue, la sensation du coton humide sur la fesse avant les piqûres d'hormones, le ton d'une laborantine lui annonçant sèchement que non, elle n'est pas enceinte. Odile Gasquet a été suivie pendant huit ans par le professeur René Frydman, grand spécialiste de l'infertilité et père scientifique d'Amandine, le premier bébé-éprouvette français, né il y a tout juste trente ans, le 24 février 1982. C'était de 1990 à 1998.
De ses souvenirs, elle a tiré un récit captivant, In vitro. Désirer et vouloir (Jacques André éditeur, 165 p., 15 euros), sorti fin 2011. On peine d'abord à croire à la réalité des faits, tant son histoire semble extraordinaire. Elle commence mal. Parisienne, professeur d'histoire en lycée, Odile Gasquet a 33 ans quand elle consulte pour la première fois René Frydman. Cela fait déjà trois ans qu'elle tente d'avoir un enfant. Il est le "dernier recours" d'Odile et de son mari. "Je ne travaille pas dans l'ordre du miracle !", leur assène d'emblée le médecin.
Après une petite opération pratiquée sur l'époux, M. Frydman accepte finalement le couple dans son service. Onze tentatives d'insémination artificielle et trois fécondations in vitro plus tard, Odile Gasquet devient enfin mère... trois fois. Deux fois grâce à la science. Et la dernière naturellement. Une grossesse tellement improbable que la future mère croit dur comme fer pendant quatre mois être victime d'une ménopause précoce.
Tout sourire, Odile Gasquet sort une photo de ses enfants. Ils ont 14, 15 et 16 ans, et lui ressemblent. Elle est comblée. Pourquoi revenir sur ce passé que beaucoup préfèrent oublier ? Pour "rendre hommage" au professeur Frydman, figure bienveillante à qui elle voue une reconnaissance immense. Mais aussi dans le but "d'approcher au plus près les difficultés rencontrées par une femme suivie en procréation médicalement assistée (PMA) ", avec l'idée que son récit pourrait être un "viatique" pour d'autres. Pour le plaisir de l'écriture aussi.
PAS UN TABOU, OU UNE HONTE, MAIS "UNE INJUSTICE"
Son récit est une réponse à ceux qui voient dans le recours à ces techniques un caprice de couples en mal de descendance. C'est un très rude parcours. Il faut supporter les heures d'attente à l'hôpital, la lourdeur du protocole médical, l'angoisse après chaque tentative, la rage quand apparaît "la maudite petite tache rouge" des règles, les montagnes russes entre espoir et désespoir. Le passage du temps devient une obsession, car il faut que le corps se repose entre chaque tentative. Odile Gasquet est organisée. A peine une insémination est-elle réalisée qu'elle prend rendez-vous pour la prochaine tentative.
L'héroïne détaille avec une précision clinique ses émotions intimes. Elle vacille, manque de s'effondrer, puis contemple les photos des bébés conçus grâce à la PMA et continue, avec "une patience en acier trempé". Longtemps, son combat est resté solitaire. "Ce sont des choses dont on ne parle pas, raconte-t-elle. Si on raconte ses échecs, on a de la compassion resté solitaire. "Ce sont des choses dont on ne parle pas, raconte-t-elle. Si on raconte ses échecs, on a de la compassion autour de soi, c'est intolérable. Ce que l'on veut par-dessus tout, c'est parler d'autre chose, continuer à avoir une vie normale."
Pour Odile Gasquet, la stérilité n'est cependant pas un tabou, ou une honte, mais "une injustice", qui doit être "d'autant plus âprement combattue". Pourquoi une telle obstination ? "C'est comme un sommet qu'on aperçoit au loin, mais qui se dérobe toujours, on se dit que la prochaine fois sera la bonne", répond-elle. Elle a bien sûr envisagé de renoncer. "Je ne sais pas ce qui serait arrivé si je n'avais pas été enceinte d'Eléonore", admet-elle. Sa première fille est arrivée après douze tentatives infructueuses.
Le couple a aussi pensé adopter. "Nous avions commencé les démarches, mais ça n'est pas interchangeable, analyse M Gasquet. En adoptant, on renonce à l'enfant naturel, à la chair, aux premiers jours, à l'inscription dans l'histoire de la famille."
"JE VOULAIS LA VIE"
Elle n'élude pas les critiques sur l'aide médicale à la procréation. "Ai-je dérapé ? Suis-je mimétique au point de ne pouvoir désirer que ce que les autres ont déjà ?, ironise-t-elle dans son livre. Suis-je une bourgeoise pratiquant une médecine de convenance comme le proposent certains médecins cupides et avides de gloire éphémère ?" Sa réponse tient en une phrase : "Je voulais la vie." Elle sait cependant qu'elle n'aurait pas utilisé toutes les possibilités que l'aide médicale à la procréation offre, comme le recours aux dons de gamètes.
Le couple a raconté à ses enfants comment ils sont nés. "Au début, ils se sont décomposés, se souvient-elle. Mais dès qu'ils ont compris que c'était l'ovule de maman et le sperme de papa dans l'éprouvette, ils se sont détendus, ce n'était plus que de la technique." Tous les trois sont des forts en science, l'aînée envisage de faire médecine.
Gaëlle Dupont
article paru dans le journal "le Monde" daté du 24 février 2012 en page 11
"Le Progrès" du 24 février 2012, p12
« Quand l’enfant est là, on oublie tout »
Elle ne tient pas plus de deux minutes avant d’aller chercher une photo de ses trois enfants. « Voilà, tout ça, c’était pour le désir de les photographier ! », sourit, l’air mutin, Odile Gasquet, en posant le cadre sur la table basse. « Quelle aurait été ma vie sans eux ? », s’interroge cette professeure d’histoire et artiste-peintre au milieu du salon de son appartement lyonnais où elle expose ses œuvres. Sur le cliché, Elénore, 17 ans, est entourée par ses frères, Maxence, 15 ans et Raphaël, 13 ans, trois « beaux et charmants adolescents », commente leur maman… en toute objectivité ! « Si Eléonore avait été seule, peut-être que j’aurais surinvesti mais là, à trois, ils ont été remis à leur place quand il fallait ! », assure la mère de famille qui a affronté onze échecs d’inséminations artificielles et deux échecs de FIV, soit « treize boulets » avant de réussir à donner la vie. C’est en 1990 qu’Odile et son mari ont été pris en charge par le Pr René Frydman, à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, dans le service où Amandine, le premier bébé-éprouvette, était née huit ans plus tôt. Odile a 33 ans et les yeux rivés sur cette courbe de fécondité qui « s’incline sévèrement » à partir de 36 ans et « dégringole » à 38. Déterminée, acharnée, elle enchaîne en deux ans, aux limites du possible les inséminations artificielles. Jusqu’au onzième échec, marqué par une première et furtive grossesse de cinq jours… Ce n’est qu’à la troisième et dernière FIV, alors qu’elle s’apprêtait à entamer un travail de deuil qu’Odile voit « une terre natale en vue ». « Quand je découvre que je suis enceinte, l’intensité est tellement forte ! J’ai ce souvenir gravé en moi pour toujours », raconte-t-elle, les yeux brillants. Eléonore naît en février 1995. Odile fête ses 38 ans à la maternité, avec « le plus beau cadeau de la vie » mais l’horloge biologique menace plus que jamais de sonner le glas de son ambition de fonder une vraie famille avec « au moins deux enfants ». Quelques mois plus tard, elle intègre in extremis une étude sur une nouvelle hormone conduite par le Dr François Olivennes, assistant du Pr Frydman. Maxence naîtra neuf mois plus tard en 1996. Puis arrivera en 1998, Raphaël, le bébé miracle qu’Odile n’osait plus espérer et dont elle découvre l’existence sur une échographie aux urgences alors qu’il mesure déjà neuf centimètres ! « Bien sûr, je ne peux pas m’empêcher de penser que le psychisme joue, que quand on se met trop la pression, on échoue », analyse Odile. Mais elle retient surtout que « quand l’enfant est là, on oublie tout ». Pendant dix ans, elle a ainsi vécu pleinement avec sa famille jusqu’au jour où elle a lu les « Lettres à une mère » du Pr Frydman, auxquelles elle a voulu répondre. Il a suffi de dérouler le fil pour que tout revienne en mémoire : les prises de sang, la phobie des ventres trop ronds, les allers-retours aux toilettes à traquer la moindre goutte de sang… Pour raconter son histoire, Odile a préféré l’autofiction, pour mieux analyser les notions du désir et non-désir d’enfant, la culpabilité de l’avortement, la liberté, la chance, etc. « J’ai voulu donner à comprendre aux femmes et à leur entourage ce qui fracture, ce qui divise ». L’alternance du « je » et d’« elle » dans l’écriture s’est vite imposée. « Le « je » correspond à la première partie du cycle de la femme, quand il faut enclencher la machine à vouloir pour faire les piqûres, les prises de sang, être à telle heure à l’hôpital pour les échographies… Le « elle », c’est la seconde partie du cycle, la déprise, quand on ne maîtrise plus rien. On est écartelé : il ne faut pas trop espérer parce que plus on espère, plus l’échec est douloureux », explique l’écrivain. Au final, Odile ne veut retenir que « la belle histoire ». Son livre est aussi un hommage au Pr Frydman — dont elle avoue, rougissante, qu’elle a bien été un peu amoureuse, comme certainement toutes ses patientes ! « Ce qu’ils ont fait, cette thérapie, c’est fabuleux ! C’est magnifique de pouvoir donner naissance à des enfants désirés », conclut l’admiratrice de Simone Veil. L’ancienne ministre de la Santé lui a écrit il y a quelques jours pour lui dire combien elle avait été touchée par son ouvrage.
(1) In vitro, désirer et vouloir, d’Odile Gasquet, Jacques André éditeur, collection de facto, 15 euros.
Sylvie Montaron
article paru dans le journal "Le Progrès" daté du 24 février 2012 en page 12
Télécharger l'article de Mag2Lyon paru en avril 2012
Télécharger l'article de Maxi n° 1331 du 30 avril 2012
- Dominique Desanti, "In mémoria" avril 2011 http://www.sens-public.org/OGasquet_Desanti.pdf
- Réflexions sur sa pratique artistique, à partir d’un entretien avec Yann Kilborne, réalisateur en juillet 2003.
REFLEXIONS d’Odile Gasquet sur sa pratique artistique, à partir d’un entretien avec Yann Kilborne.
Comment es-tu arrivé à la peinture ?
J’ai toujours griffonné sur des bouts de papier. Dans mon adolescence c’était un moyen de m’abstraire du monde qui m’entourait. Pendant les cours, je faisais des dessins, en terminale, je dessinais des foulards, que le soir je réalisais dans un atelier de peinture sur soie. L’année suivante en même temps que je m’inscrivais à la Sorbonne, en histoire, je suis entrée au conservatoire d’Arts plastiques de Fresnes. C’est là, où, en quatre ans, j’ai tout appris. Devant le chevalet, le monde environnant devient une abstraction. Je me suis fait capturée par le bout du pinceau. Ma vie se passait à mobylette sur les bords d’un triangle : maison, Sorbonne, conservatoire.
Quelles sont les principales étapes de cette formation en peinture ?
Le premier moment vraiment très fort, ce fut mon premier cours de modèle vivant.
J’ai vu un corps nu, qui se présentait à nous pour être dessiné. J’avais dix-huit ans et je me suis posé plein de questions sur le statut de ma présence, celle du modèle, la nature de mon regard. La maladresse de mes traits devenait une imposture, j’ai ressenti une obligation de « réussir » quelque chose. J’étais en train de contracter une dette envers le modèle, cette sensation ne m’a jamais quitté par la suite.
Quelques années plus tard la question du format est devenue cruciale. Pour exploser ma formation « classique » j’ai attaqué avec des formats de plus en plus grands, directement en peinture avec des couleurs franches et des poses de plus en plus rapides. C’est l’énergie qui libère le geste.
Ensuite il faut montrer son travail. J’ai toujours bien aimé surprendre le regard des gens, chez moi, sur une toile accrochée au mur, comme par hasard, avant qu’ils ne connaissent mon travail de peintre. Beaucoup ne regardent pas, certains ont une sorte de « choc » et veulent tout de suite en voir plus, alors là c’est une véritable rencontre.
Ce qui est bien avec une exposition, c’est qu’elle fixe une échéance, il faut bosser pour elle, un ou deux ans de travail acharné. Un seul objectif poursuivit jour après jour, face à face avec ses exigences, dans un état de doute permanent !
Y a-il des peintres qui t’ont influencé ?
C’est une question très importante, mais qui est perpétuellement en mouvement. Ayant fait une maîtrise puis un DEA d’histoire de l’art je dispose d’un corpus d’images assez considérable. La fréquentation de musées et des expositions au cours de mes voyages est venue enrichir ces nombreuses références. Mais heureusement j’oublie vite, et tout lorsque je suis devant une toile blanche.
Un peintre préféré ?
Uccello, Goya, Franz Hals, Max Beckmann, Francis Bacon, Rothko…
Une définition de ton travail ?
Ce que j’aime dans la peinture, c’est son silence. Le silence intérieur qui accompagne la création. La concentration est telle, qu’il peut y avoir du vacarme autour de moi, je ne l’entends pas. C’est un travail sans les mots. Je suis fondamentalement quelqu’un qui se méfie des mots. Depuis toute petite je m’interroge sur le sens des mots, sans chercher à se l’approprier. J’aime bien déplacer un mot d’un sens sur l’autre, comme mes modèles d’une pose sur l’autre. J’adore le rapport des jeunes enfants au langage oral ou pictural.
Dans ce silence ce qui me captive c’est voir. Voir et lire une toile blanche, suivre ses lignes invisibles, je les traque, les trace, les perds, les retrouve. Même chose pour les couleurs qui s’appellent et s’imposent. Elles se complètent, se neutralisent, se provoquent, s’éliminent. Elles ne renoncent jamais, une fois embarqué le peintre doit poursuivre.
Peut-on dire que tes tableaux sont figuratifs ?
Aucune forme prédéterminée n’est privilégiée. Toutes les entrées dans le tableau sont légitimes, par une couleur, par un profil, un trait, une rupture, un vide. Les tableaux ont des zones abstraites, des zones narratives, elles se heurtent et doivent trouver leur équilibre ensemble. Le « dessin » devient « trait », la couleur vient surprendre.
La « figuration » pour moi n’est pas une catégorie très pertinente. On ne peint jamais la « réalité » d’une figure. Ce qui est peint est ce que l’on voit de la peinture. La figure est au plus un prétexte. Par contre mes tableaux sont certainement traversés par des histoires…
Je ne pense pas non plus en termes d’abstraction. C’est la composition qui m’intéresse : emboîtement de formes, de couleurs, de gestes, d’énergies. J’agis en fonction de masses de couleurs et d’écritures graphiques. Je ne sais pas plus ce qu’est l’abstraction que ce qu’est la figuration.
Quand peux-tu dire qu’un tableau est fini ?
Tant qu’il y a des choses à reprendre il n’est pas fini. Soit tout se passe bien et rapidement : l’équilibre et trouvé, la présence est donnée, la force est préservée grâce à la maîtrise du geste imprévu. Si l’on sait voir cela, alors on sait aussi qu’il ne faut plus y toucher, le tableau est fini. Soit « ça coince » et là, il faut reprendre jusqu’à trouver ce que le tableau réclame.
Ce peut être laborieux, désespérant, il m’arrive de jeter des toiles.
L’échéance d’une exposition rapprochée oblige à dégager rapidement des solutions définitives, travailler dans l’urgence peut être une bonne chose. Mais cela peut conduire aussi à des « solutions de facilité ». Si l’on s’appuie trop sur son habilité, on risque de s’endormir et le spectateur aussi.
Travailles-tu toujours avec des modèles ?
Pour dessiner un corps j’ai besoin de la présence du modèle. Je ne m’intéresse pas à la question du corps hors de la présence du modèle. C’est bien de présence dont il est question, pour les positions les proportions, les raccourcis… On peut travailler avec des photos. Mais s’il s’agit de rendre compte d’une présence, celle qui engage une intention, qui provoque un surgissement de formes et de couleurs, alors il faut un modèle. Il est indispensable que le modèle ait une qualité d’être là particulière, un peu comme un acteur, même les dessinateurs qui débutent ressentent cela.
Comment cela se passe-t-il avec le modèle ?
Chaque tableau a une histoire et chacune de ces histoires est différente. Mais ce sont des histoires, elles se racontent de façon rétroactive. À l’avance je ne sais rien. Il y a des modèles très impliqués dans leur travail, ils vous accompagnent, plus ils dégagent de l’énergie plus ils vous obligent à réagir.
Pourquoi des triptyques ?
Les premiers triptyques sur panneaux de bois, furent inventés pour tenir droit sans support. J’aime cette idée. Un triptyque est pour moi constitué de trois tableaux indépendants les uns des autres qui ensemble « tiennent droit » où que ce soit. Pour moi cela signifie qu’ils n’ont plus besoin de rien pour résister au temps qui passe. L’équilibre est assuré une fois pour toutes.
Un Triptyque ou un diptyque me permet de démultiplier les possibilités de composition au moment de l’élaboration des trois tableaux conçus ensemble et séparément. Cela introduit de la complexité, de l’étrangeté, et plus d’aléatoire, du coup pour arriver à ce qu’ils tiennent étroitement ensemble, cela requiert plus de rigueur. Les fractures sont multipliées, les prises de risque aussi, du coup les liens deviennent déterminants, seuls les plus solides tiennent le choc.
Un triptyque peut être une démultiplication du temps de l’histoire si c’est d’une narration dont il s’agit. Ce peut être aussi un déploiement de l’espace imaginaire par-delà un cadrage apparemment particulièrement contraignant. J’aime flirter avec la notion de transcendance.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Ce qui m ‘inspire c’est ce qui m’interroge. Ce peut être des personnes qui s’interrogent sur elles-mêmes et sur le monde, des animaux, des paysages aussi. C’est ce qui me pose question. L’indéfinissable.
Il t’arrive d’écrire sur tes tableaux, quel est le lien entre peinture et écriture ?
Le tableau se crée par lui-même dans le tableau, dans la peinture, avec les pinceaux, les pigments, avec le désir du moment. Ensuite, parfois, lorsque le tableau est achevé, il peut y avoir des mots. Ils racontent quelque chose qui apparemment n’a pas grand chose à voir avec le tableau, sauf qu’il y a bien une énergie commune, une même source d’interrogation. C’est le tableau dans son achèvement, qui vient me raconter quelque chose de surprenant, qui comporte peut être « une clef ». Je pourrais dire la même chose pour les titres des tableaux.
Je sais, mais après, c’est celui-là. Le pourquoi reste enveloppé de mystère.
Quelles ont les réactions du public ?
Aussi diverses qu’il y a de personnes. Tant qu’un tableau n’est pas achevé, je suis fragile. Lorsqu’il est terminé et c’est peut-être aussi à cela que je mesure son degré d’achèvement, je peux tout entendre car alors j’assume pleinement. J’aime entrer en dialogue, tout m’intéresse dans la réaction de ceux qui auraient envie d’en parler avec moi.
Est-il difficile de se séparer d’un tableau ?
Elle se passe en deux temps. Lorsqu’un acheteur se déclare intéressé, il y a un moment d’euphorie. La proposition que contient le tableau a rencontré quelqu’un qui s’y intéresse vraiment. Ce quelqu’un est décidé à partager quelque chose avec votre tableau, il va l’emmener dans sa vie. C’est assez fantastique. Le tableau va commencer sa vie de tableau.
Après le tableau n’est plus là, on en garde une trace photo dans un dossier. S’ils venaient tous à disparaître d’un coup, je me sentirai dépouillée.
Est-ce qu’il y a du danger dans l’acte de peindre ?
Flirter constamment avec l’irréalité ; avec des outils bien réels, qui laissent des traces, rêver ; remettre en question chaque geste ; c’est se mettre en danger. Pour éviter cet écueil, il faut trancher, décider, assumer. Contenir fermement un imaginaire tout puissant. Savoir rester fragile dans la plus grande fermeté possible me semble être le propre de tout travail artistique. Plus on travaille plus le risque est important et dans le même temps, c’est l’énergie déployée qui vous protège.
Ce que doit être un tableau ?
Ce que doit être un tableau c’est une rencontre. Pour le peintre, la rencontre avec son sujet (modèle, paysage, émotion, désir) engage un dialogue authentique. Cette « rencontre » initiale il va falloir en faire quelque chose, la sublimer.
Ensuite pour qu’il y ait tableau, il faut que celui-ci rencontre son public. Il y aura rencontre si celui qui vient regarder, regarde, regarde encore, a du mal à s’en détacher, ne l’oubliera pas. Le spectateur est saisi dans son interrogation sur lui-même et sur le monde par la présence du tableau. Il y découvra toujours quelque chose de nouveau car ce tableau acquiert le pouvoir de réactualiser cette quête de sens à travers les signes.
Quels sont tes projets ?
Poursuivre.
- "La Caverne" - Colloque "Le Croquant" sur le thème de la violence, Lyon, salle Molière.
« La Caverne »
Acrylique et huile sur toile, 150x150cm. Paris.
Dans le tableau la Caverne, la violence c’est l’oppression. L’homme est esclave de l’oppression qui le cerne et qui l’habite. Il voudrait comprendre et se tourne vers des ombres : illusions. Les fausses vérités sont homicides.
Quels sont les liens entre ce tableau et « La caverne » de Platon ?
Ces esclaves sont des hommes et des femmes. Ces esclaves sont une infinité. Ces esclaves ne forment qu’un : un être complexe, démultiplié, capable de percevoir par sa démultiplication même, plusieurs niveaux de réalité ou d’irréalité en soi, d’où un grand portrait englobant.
Les regards regardent dans toutes les directions du format carré, qui concentre de la toile. Les parois de la caverne sont partout, nous y sommes. D’où le regard d’un des esclave posé sur nous, c’est lui qui nous interroge sur ce qu’il voit. Si nous lui prêtons un regard alors ce qu’il voit c’est nous, donc ces objets étranges que nous devons nommer c’est nous-même ; Nous sommes à ses yeux des ombres parmi d’autres. Comment pourrait-il nous nommer, nous qui ne savons nommer notre propre histoire ? Jamais aucun nom ne suffit à lui-même pour désigner quoique ce soit. Que dit notre nom de nous-même ?
Il n’y a pas besoin de placer dans le tableau des ombres ou autres objets … car la toile elle-même est une apparence qui contient toutes les interprétations possibles de tous les regards qui se poseront sur elle.
S’il y a une vérité dans le tableau, elle réside dans la toile nue. Celui qui l’entraperçoit est plus nu que tous les autres, il est donc issu de la toile blanche. Il est ébloui plus par le « rien » de la toile blanche que par la « lumière » ; Il n’accède au mieux qu’à une vérité partielle, ne contenant que sa propre nudité. Cette recherche est intérieure : le regard est bloqué par le bras. Elle est douloureuse : la tête est rejetée en arrière.
La forme triptyque permet la démultiplication des cavernes, des esclaves, des parois.
Les bords des châssis, sont les parois sur lesquelles, bloquent, traversent ou rebondissent, les lignes et les couleurs. L’ordre des panneaux devrait être idéalement être interchangeable.
La forme carrée finale permet la concentration du sujet. Le carré permet de travailler sur la centralité, soit pour resserrer les liens, soit pour les dissoudre par absence, volontairement . D’autre part dans le carré, il n’y a pas d’approche privilégiée : soit par la verticale, qui peut suggérer l’élévation, soit par l’horizontale qui peut évoquer le tassement, l’écrasement.
ATTENTION : Ce texte a été rédigé après l’avènement du tableau. La totalité du tableau a été composé directement en peinture grand format, avec la présence du modèle. C’est le modèle qui m’a proposé des « poses » que j’ai travaillé dans une composition emboîtée complexe dont seule une partie a été laissée visible sur la toile, c’est exclusivement de ce travail avec le modèle qu’a découlé l’équilibre général du triptyque.
L’interprétation que j’en propose est entièrement post-réalisation picturale.
C’est la peinture, son exigence particulière, qui guide le pinceau, c’est une sensation.
"Céruleum" un film de Yann Kilborne, Paris, 2006
Jean-Marie Auzias sur "Céruleum" féminin - extrait de Café Solo.
Dire Odile - Jean-Marie Auzias
Dire Odile
Invité de ce livre m’y voici sur scène.
Faut-il raconter Odile ? Il y a ce nom qui résonne en poésie et en ciels de fleuve : Gasquet_ Garonne. Un champ poétique, celui de Joachim Gasquet, fait des aurores et des ceps de vigne, de pin, de mer-nostre et de montagnes-vous-êtes-mes-amours. Aquelas montanhas !
Et de champs des brûlés, de Charles Martellage chasse à l’Arabe, soudards carolingiens, pogrom de Cathares et champs de cocagnes.
Sur ces horizons flamboyants, elle apparaît soudain, présence physique autour de laquelle s’inscrivent ses tableaux bougeurs, ses plages fouilleuses de mémoire, ses personnages haussés au delà-d’eux mêmes et parfois courbés au dedans d’eux-mêmes. Entre terre et mer circulent de long filaments, vestiges de rets à prendre oiseaux poissons et idées. Elle braconne dans la philosophie.
Ses tableaux ne craignent pas les grands espaces, les triplements, les intervalles. Et cette façon qu’ils ont ces humains, de s’y donner rendez-vous avec leur nudité sans miroir qu’intérieur, c’est peut-être un écho du jeu que mène, dans l’œuvre d’Odile Gasquet la contradiction de l’enseignant et du créateur :
- Transmettre tout l’acquis par delà le souvenir et loin de tout redoublement, décalque ou référence.
- Et, surtout faire passer par la toile tous les appels, tout le libidinal, et toute l’intelligence brasser culture et présence au monde.
Le regardeur – je ne dis pas le spectateur – sort de lui même, approfondit ses nostagies ayant longtemps vécu sous les vastes portiques. Puis il décolle. Ici bas n’est plus maître. C’est Odile qui le transfigure et le rend à lui-même. Peinture faîtes pour vous naufrager entre le solaire et l’abyssal, qui donne à tous une autre vie.
Odile Gasquet Wormser est multiple et se multiplie, dépliant chacune de ses identités en figure du monde et de ceux qui pourraient l’habiter. Naissances-Metamorphoses du sensible.
Ce qui pour elle est en miroir devient spéculaire pour le regardeur qui ne sait plus que c’est elle à travers formes et couleurs qui devient une manifestation du caché. Les paysages tracent des devenirs, devenir soi, pour le regardant, devenir, elle, du tout autre. Transcendance à portée de l’œil et de la main qui donne non pas forme mais transforme.
Cet épanouissement que je vis quand je contemple c’est à la fois génèse et déprise de soi par soi. Odile : là comme n’y étant plus.
Le tableau insistant, acte de se livrer, séduction du labyrinthe et de ce qui crie dans le silence des fils d’Arianne désormais pelotonnés. Corps superposés, signes de cette démultiplication de la peinture par laquelle elle met en mouvement ce qui en moi, regardeur, était le sommeil de la terre, l’assoupissement des êtres tronqués dans leur glorieuse marche sur le paysage et sur le ciel, qui dissout comme un acide en son immobilité de grand animal fascinant, et digère votre regard, sournoisement, par les voies d’une puissante et charnelle, intelligente séduction.
Jean Marie Auzias
Le 13 janvier 2004, Lyon.
A propos de "La Raie" - Comtesse de Peyre Brune écrivain
A propos de "La Raie"
Concernant « La Raie » un tableau du peintre d’art Odile Gasquet.
Importante source créatrice s’extériorisant en ouvrant le gardien intérieur,
en une des recherches spirituelles.
Emotions intimes profondes instinctives, incontrôlées.
La nudité des profondeurs devient un souffle qui creuse sans retenue l’écoute des voix entendues. Quand cet état de grâce cesse, une violence fait place à la douceur, comme,
si les pensées de choix fussent mises à part pour une improvisation choquante, n’ayant
rien à voir avec l’Eden inspiré.
Le silence habituel s’insurge brutalement et passionnellement par un fantasme.
Comtesse de Peyre Brune,
Veuve du Prince Charles de Belgique
Documentaire, entretiens sous la direction de Jean Comté, Ateliers de la ville de Paris, Montparnasse. juin 2000.